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4/9 – Énergies bas carbone : l’empreinte matière comparée

Publié le 20 septembre 2021 - Mis à jour le 2 novembre 2021
  • Empreinte matière
  • Scénarios énergétiques
  • Transition énergétique
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La transition énergétique consiste à réduire drastiquement le recours aux énergies fossiles, grandes émettrices de CO2, en les remplaçant progressivement par des énergies dites bas carbone. Ce processus soulève depuis quelques années une question préoccupante : celle de l’empreinte matière, c’est-à-dire la consommation de matières premières nécessaires à cette transition.

Dans la lutte contre le changement climatique, une transformation de fond des systèmes de production d’énergie s’esquisse dans les dif­férents scénarios de mix énergétiques prévi­sionnels, comme celui de Net Zero Emissions by 2050 (NZE) de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), publié en mai 2021. Cette transformation comprend notamment une hausse de la consommation d’électricité et de la capacité installée, avec de plus en plus d’énergies renouvelables. Dans ce scénario NZE, la consommation finale d’électricité augmente de 25 % entre 2020 et 2030, et at­teint en 2050 plus du double du niveau de 2020. Cette dynamique laisse anticiper un impact fort sur la consommation des ma­tières premières, que ce soit pour les trans­formations du réseau électrique toujours plus décentralisé, la fabrication de batteries au service de la mobilité électrique ou le déploie­ment de panneaux solaires et d’éoliennes.

« L’arbitrage entre les différentes énergies bas carbone, qui se fait déjà sur le plan des émissions de CO2, doit aussi prendre en compte l’empreinte matière »

De ce fait, l’arbitrage entre les différentes énergies bas carbone, qui se fait déjà sur le plan des émissions de CO2, doit aussi prendre en compte l’empreinte matière. Dans son rapport1, l’AIE met l’accent sur les tensions d’approvisionnement qui pourraient voir le jour et porter préjudice au déploiement de la transition énergétique. Dans cette optique, il s’agit de dresser ici un bilan des matériaux requis pour la production d’électricité à partir d’énergie nucléaire, et de le comparer avec d’autres énergies bas carbone. Idéalement, pour permettre des travaux prospectifs sur les mix énergétiques des décennies à venir, il fau­drait réaliser un bilan matière pour les réac­teurs de IIIe génération2, aujourd’hui en cours de déploiement. Cependant, la rareté et/ou la confidentialité des données portant sur des réacteurs très jeunes rend la tâche ardue, sans compter les évolutions encore susceptibles de se produire. Cependant, un état des lieux fondé sur la deuxième génération de réac­teurs, construits à partir des années 1970, qui constituent l’essentiel des centrales en exploi­tation, est d’ores et déjà possible. L’analyse porte en particulier sur les réacteurs à eau pressurisée (REP), qui comptent pour deux tiers des réacteurs actuels et 80 % des réac­teurs en cours de construction dans le monde.

La génération II étant constituée en majeure partie de réacteurs construits il y a une qua­rantaine d’années, la littérature sur les bilans matières est fournie. Une étude particulièrement détaillée a été réalisée en 1974 par Bryan et Dudley, sous l’égide de l’Oak Ridge National Laboratory (ORNL) aux États-Unis3. Elle porte sur un REP typique, de capacité installée de 1 000 MW et couvre un grand nombre de matériaux. C’est une source de données solide, complétée des travaux de Yasukawa (1996)4, Voorspools (2000)5, Lecointe (2007)6 et Dones (2007)7, ainsi que d’une analyse de cycle de vie (ACV), réactualisée régulièrement, de la centrale de Ringhals en Suède8.

Précisions méthodologiques

Plusieurs obstacles en termes méthodologiques sont à noter. D’une part, les périmètres (partie étudiée du système en question) considérés par les différentes études ne sont pas tous les mêmes, et ils sont parfois définis avec peu de précisions. Nous choisissons donc pour cette étude de ne retenir que les matériaux constituant les bâtiments et équipements de la centrale. Une autre difficulté concerne la manière de catégoriser les matériaux. En effet, les différents auteurs, par exemple, ne décomposent pas toujours de la même façon les aciers considérés (lorsqu’ils traitent de l’acier) – acier faiblement allié, acier hautement allié, acier inoxydable ou acier d’armature –, et il faut alors interpréter certaines appellations pour confronter les valeurs trouvées. Seront distingués ici les aciers structurels des aciers employés pour les équipements spécifiques des réacteurs.

Enfin, il y a parfois très peu de détails sur les calculs menés pour aboutir aux valeurs présentées. Les travaux de Bryan et Dudley ont à ce titre le mérite d’être très clairs et de permettre une bonne compréhension des valeurs.

En conséquence, seront étudiés dans ces lignes successivement les matériaux métalliques puis les matériaux non-métalliques, puis enfin l’assemblage de combustible. Les quantités de matériaux sont exprimées en « intensités » par unité d’énergie produite, c’est-à-dire en quantités ramenées à une unité d’énergie produite (tonne/TWh ou t/TWh). C’est une convention qui, contrairement à une intensité matière par unité de puissance installée (tonne/TW), permet notamment de prendre en compte l’intermittence de l’éolien et du solaire par exemple, mais qui nécessite de faire des hypothèses sur le facteur de charge ou la durée de vie de l’installation. Dans le cadre de comparaisons avec d’autres technologies, c’est la méthode la mieux adaptée.

Les matériaux présentés sont ceux dont l’intensité matière est supérieure à 1 t/TWh pour au moins l’une des technologies consi­dérées. Pour le nucléaire, l’hypothèse rete­nue de la durée d’exploitation est de 50 ans, ce qui correspond à l’allongement autorisé sous conditions par l’ASN pour des réacteurs de IIe génération. Le facteur de charge est le facteur moyen de l’année 2019, soit 68 %.

Au vu de l’analyse, le nucléaire est d’une grande sobriété matérielle, et ce pour plu­sieurs raisons. D’une part, il est très dense énergétiquement. À puissance installée équi­valente, une installation solaire ou éolienne est bien plus vaste et gourmande en maté­riaux qu’une centrale nucléaire. D’autre part, le nucléaire bénéficie d’une grande longévi­té ainsi que d’un facteur de charge élevé, en comparaison avec les renouvelables éolien et solaire dont il faut prendre en compte la forte intermittence (N.B. : le facteur de charge du nucléaire dépend également de la poli­tique du pays considéré, selon qu’il se place comme base ou appoint). Cela se traduit par une quantité d’énergie totale produite plus élevée pour le nucléaire à puissance installée équivalente, et donc par une empreinte ma­tière par unité d’énergie produite d’autant plus faible. Il peut être constaté également que la convention de comptage par unité d’énergie produite exprime plus clairement la sobriété du nucléaire que le comptage par unité de puissance installée, qui ne tient pas compte de l’intermittence des renouvelables par exemple, en observant les graphiques fournis par l’AIE.

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Travail de recherche de Marion Wales, étudiante à l’École polytechnique et stagiaire à la Sfen avec la contribution de Pierre-Louis Thiollier et Adrien Concordel, EDF

Photo © EDF-CAPA PICTURES / Christophe Guibbaud – Légende I Centrale nucléaire de Cattenom : travaux de rénovation en salle des machines, 2016.

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