Démantèlement d’une installation nucléaire, quel avenir ? - Sfen

Démantèlement d’une installation nucléaire, quel avenir ?

Publié le 31 janvier 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Ce marché est considéré comme mature et en croissance en France, mais aussi à l’international avec la fermeture progressive d’installations nucléaires anciennes. S’il est avéré que les activités de démantèlement et de gestion des déchets ne compensent pas celles d’une installation en exploitation, les opérateurs industriels, les institutionnels et les collectivités s’impliquent pour conserver, voire accroître, un dynamisme en matière d’emplois dans les territoires. 

Cigéo, un projet hors norme

Pour Thierry Pussieux, chef du programme de développement économique de Meuse/ Haute-Marne pour le CEA à Cigéo [1], « ce projet est exceptionnel par l’ampleur des travaux qui y sont conduits mais aussi en termes de marché de l’emploi dans une région rurale et agricole ».

Les producteurs de déchets, Orano, EDF et le CEA, sont les contributeurs de la construction et du fonctionnement du site (pour 60 millions d’euros par an) afin d’alimenter deux Groupements d’intérêt public (GIP) [2]. Ces derniers permettent de financer des projets d’aménagement du territoire et des projets technologiques et industriels [3] – dans le nucléaire ou hors nucléaire – à long terme. Dans ce cadre, EDF a créé un pôle nucléaire de maintenance industriel à Saint-Dizier (Haute-Marne) avec à la clé, la création de plus de 300 emplois. Le groupe a également installé un centre d’archives dédié au parc nucléaire français, à l’instar d’Orano. « De par son statut, le CEA est soumis à des contraintes ne lui permettant de développer que des projets en lien avec la recherche. En s’inscrivant dans la transition écologique, énergétique et numérique, le CEA a porté un projet innovant, InnovSanté.


Le marché du démantèlement, de l’assainissement et de la gestion des déchets radioactifs est considéré comme mature et en croissance en France


Il consiste à développer à grande échelle l’accès aux soins, en utilisant les technologies numériques, pour répondre à un réel besoin des populations en milieu rural.

Autre projet : favoriser le développement d’un tissu industriel pour accueillir les nouvelles entreprises près de Cigéo, dont les activités sont amenées à se développer ». Le CEA a contacté la société Carbo France [4], installée dans la région, et lui a proposé d’améliorer son process pour la pérennité et le développement de son activité, en se relocalisant près de Cigéo sur un nouveau parc, Park Innov. Cette nouvelle structure initiée par le CEA accueillera un atelier école Orano, qui proposera des formations réglementaires sur l’électricité, la sécurité – des domaines en développement répondant aux besoins des installations nucléaires mais aussi d’autres industries et activités, notamment dans le monde agricole. 

« À terme, l’ambition est de développer des partenariats avec des écoles et de créer aussi des formations diplômantes », souligne Jean-Michel Romary, directeur maîtrise d’ouvrage démantèlement et déchets chez Orano.


Gisement d’emplois et développement économique

En 2019, 370 personnes travaillent directement à Cigéo, dont le budget avoisine les 50 millions d’euros par an (dont 15 millions d’achats).

Pendant la phase de construction du centre de stockage, « il est prévu 500 emplois sur le site avec un pic de 2 000 pour la construction. La phase d’exploitation du site, estimée à près de cent ans, emploiera 600 personnes », note Frédéric Marchal, chef de service insertion territoriale de Cigéo à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra).


La particularité de l’industrie nucléaire est qu’elle est répartie sur l’ensemble des territoires, qui ont chacun leurs spécificités


L’agence a d’autres projets pour accompagner le développement économique du territoire, comme celui d’implanter près du site un démonstrateur funiculaire à des fins de qualifications techniques. 

L’entreprise Poma, retenue pour réaliser ce projet, prévoyait initialement la construction et l’implantation de ce démonstrateur dans sa région, en Isère. Elle l’a délocalisé en Haute-Marne, impliquant la réhabilitation d’anciennes halles industrielles pour accueillir le prototype. « Ce projet générera des activités régionales dans les métiers du bâtiment, de la mécanique/chaudronnerie, de  l’électricité ». Cigéo est ainsi un exemple concret de fort potentiel de développement économique et d’emplois sur le long terme, en région rurale, où les besoins en mécanique et électricité sont importants.

Des installations en recherche de relais de croissance

À l’inverse, cet objectif peut être plus complexe sur d’autres installations. La centrale de Brennilis, en Bretagne, arrêtée en 1985, en est un bon exemple.

Implantée en zone rurale 5, dans les monts d’Arrée, où l’activité économique est modeste en dehors du tourisme, l’installation a connu une première phase de démantèlement tandis que les demandes d’autorisation de démantèlement complet de la centrale sont en cours.

« La deuxième étape de démantèlement/assainissement durera dix-sept ans avec jusqu’à 150 personnes employées sur le site », explique Jean Cucciniello, directeur du site EDF. Mais pour l’heure, 70 personnes seulement travaillent sur l’installation (quinze salariés EDF et les entreprises locales et nationales). « Comment rester dynamique ? Des discussions avec les acteurs locaux sont en cours sur les relais de croissance potentiels de demain ». Un projet de data center adapté au site est évoqué. Autre exemple pointé par Jean Cucciniello : « Lors d’une visite du site, les Recycleurs bretons se sont montrés très intéressés pour se positionner sur le démantèlement et le recyclage potentiel du pont polaire de la centrale. Mais cela nécessite un seuil de libération des déchets de très faible activité (TFA) ».

Une nouvelle filière industrielle potentielle avec les déchets TFA

« Avec le démantèlement et l’assainissement des anciennes installations en France, nous allons générer un gisement de métaux 6, de près de 500 000 tonnes de déchets TFA », avertit Jean-Michel Romary. « En les recyclant, on optimiserait le niveau de remplissage du centre actuellement dédié », le Cirès dans l’Aube. Aujourd’hui, dans le monde, la majorité des métaux est recyclée dans l’industrie conventionnelle, et 90 % des métaux utilisés en France sont issus du recyclage.

« Il n’y a pas de raison qu’en France on ne soit pas capable de recycler nos métaux ». Pour ce faire, trois conditions doivent être mises en oeuvre : technique (être capable de décontaminer tous les matériaux), réglementaire (recycler des métaux dans l’industrie conventionnelle, ce qui suppose une traçabilité) et économique (aligner le coût du recyclage sur celui du déchet TFA). « Deux sites pourraient potentiellement accueillir le site de recyclage des métaux TFA : Fessenheim et le Tricastin ». À la clé, la création de 150 emplois à partir de 2029 pendant cinquante ans.

Des initiatives régionales, exemple du Grand E-nov

Le développement de nouveaux projets dans les territoires, c’est la vocation d’Apolline Busch, responsable du pôle filière transition énergétique au sein de l’agence d’innovation Grand E-nov basée à Strasbourg. Bras armé de la région Grand Est, l’agence Grand E-nov a pour objectif d’accompagner tout projet d’innovation, qu’il soit porté par un territoire ou une entreprise. 

↦ Une première approche de projet par les territoires consiste à fédérer tous les différents acteurs (collectivités, entreprises, institutions, écosystèmes) autour d’un projet commun.

Dans le nucléaire, la région Grand Est abrite deux projets, celui de Cigéo et la centrale nucléaire de Fessenheim, qui arrêtera définitivement sa production en 2020. Le dernier projet est organisé en quatre axes : le développement d’une zone d’activité et d’infrastructures pour accueillir des entreprises et des industriels sur le territoire, le développement de la mobilité avec l’enjeu de désenclaver la région, la transition énergétique (rénovation de bâtiments, développement de l’énergie photovoltaique) et l’innovation. « Parler du projet de territoire sur la centrale de Fessenheim, explique Apolline Busch, c’est faire de sa fermeture une opportunité pour repenser la transition énergétique et le développement économique avec des projets structurants sur le long terme ».

↦ Une deuxième approche de projet par filière. 

« Cela consiste à créer de la valeur et des emplois. On évoque ici des animations de projets autour des smart grids (les réseaux intelligents), de l’hydrogène et du nucléaire 4.0. Ce dernier est porté en région par un pôle de compétitivité Materalia, en partenariat avec EDF. Des discussions sont aussi engagées avec l’Andra. Il s’agit d’identifier de nouvelles technologies et des innovations à tester et expérimenter ». Avec une obsession : conserver des emplois et des industries dans ces territoires.

La particularité de l’industrie nucléaire est qu’elle est répartie sur l’ensemble des territoires, qui ont chacun leurs spécificités. L’intérêt est donc de construire et de poursuivre des actions de développement à l’échelle locale. Cela n’a pas empêché la France de se doter d’un syndicat professionnel unique de la filière nucléaire, le Groupement des industriels français de l’énergie nucléaire (GIFEN), en 2018. Il a pour vocation notamment d’unifier et de transformer la filière pour conduire des actions en collaboration avec les autres structures existantes, et ce, dans une volonté partagée de progresser à l’échelle nationale et internationale.


Site de recherche sur les déchets HA-MAVL, en vue d’un stockage en profondeur, inscrit dans la loi du 28 juin 2006.

En 2016, le Premier ministre a mandaté la préfecture de la Meuse pour réunir l’ensemble des acteurs locaux autour du projet Cigéo et définir un projet de développement du territoire, regroupant l’ensemble des investissements nécessaires à l’accueil de Cigéo.

Ces actions font l’objet d’un rapport d’activités annuel.

Premier producteur français de charbon de bois.

13 communes et 8 000 habitants.

 Générateurs de vapeur, diffuseurs, bardages métalliques, etc.


Une table ronde animée par Cécile Crampon, avec : Apolline Busch, responsable du pôle filière transition énergétique au sein de l’agence d’innovation Grand E-nov Jean Cucciniello, directeur du site de la centrale de Brennilis, EDF, Frédéric Marchal, chef de service insertion territoriale de Cigéo à l’Andra Thierry Pussieux, chef du programme de développement économique de Meuse/Haute-Marne pour le CEA à Cigéo Jean-Michel Romary, directeur maîtrise d’ouvrage démantèlement et déchets chez Orano. © photo EDF – Stéphanie Jayet

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