Un nouveau rapport de la Cour des Comptes sur le démantèlement : décryptage - Sfen

Un nouveau rapport de la Cour des Comptes sur le démantèlement : décryptage

Publié le 10 mars 2020 - Mis à jour le 28 septembre 2021
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Le rapport de la Cour des Comptes sur « l’arrêt et le démantèlement des installations nucléaires » publié le 4 Mars 2020 est le quatrième rapport de la Cour à aborder le sujet du démantèlement en moins de huit ans, après les rapports de 2012 et 2014 sur les coûts de la filière électronucléaire et celui de 2019 relatif à l’aval du cycle nucléaire. Rappelons aussi que sujet a aussi fait l’objet d’un audit indépendant mandaté par l’administration en 2015[1], d’un rapport d’information[2] de l’Assemblée Nationale en 2017, et fait l’objet aussi d’audits réalisés chaque année par les Commissaires aux Comptes des exploitants.  La publication de ce nouveau rapport, dont l’objectif est « d’actualiser les constats relatifs à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires établis dans les précédentes publications et dresser le bilan des évolutions intervenues » est l’occasion pour la SFEN de refaire le point.

Le nouveau rapport confirme de nouveau la régularité des provisions pour démantèlement réalisées par les exploitants d’installations nucléaires :

La Cour confirme que le montant total des charges futures de démantèlement pour les trois exploitants s’élevait à 46,3Md€2018 fin 2018 dont 27, 3Md€2018 pour EDF, 9,1Md€2018 pour ORANO et 9,9Md€2018 pour le CEA. Le calendrier prévisionnel de décaissement sur lequel se fonde les exploitants s’étale sur près d’un siècle mais près de 80% de ces charges seraient acquittées d’ici 2050.

Aujourd’hui, des provisions correspondantes sont enregistrées dans le bilan des industriels et sont pour EDF et ORANO, surtout entièrement couvertes par des « actifs dédiés » qui garantissent le financement futur de ces dépenses. Ces fonds donnent lieu à réévaluation annuelle, laquelle tient compte du rendement escompté sur le long terme des actifs. Ils sont clairement identifiés et isolés de la gestion des autres actifs ou placements financiers de l’entreprise. Leur mode de constitution, de gestion et de gouvernance sont très précisément fixés par décret.  

Si la Cour note dans son rapport que la valeur des actifs est par nature volatile, et que le taux d’actualisation retenu, qui relève de normes comptables prudentielles, est sans lien avec le rendement effectif des actifs, EDF a précisé lors de son audition au Sénat le 3 Mars que les provisions sont basées sur un taux d’actualisation de 3,7% à fin 2019 pour un taux de rendement des actifs de l’ordre de 6% en moyenne depuis 2004, et que le taux de couverture réglementaire des provisions par des actifs dédiés était de 105,5%[3].

Dans sa note de 2017 sur les coûts de production du parc nucléaire, la SFEN avait fait la remarque que les coûts de démantèlement ne jouent que très peu sur les coûts de production du parc nucléaire : ils sont donc financés par des actifs dédiés déjà largement constitués, l’exposition des dépenses est lointaine, et leur poids est très faible rapporté à la production totale des installations sur la durée de leur exploitation. C’est lors du démarrage du réacteur et de la production des rayonnements et radionucléides artificiels que celui-ci rentre dans la catégorie des installations contenant un inventaire radioactif nécessitant des techniques de démantèlement appropriées, le jour venu. Chaque TWh produit ensuite ne change pas significativement cet état ni les coûts à venir. Il est donc économiquement pertinent d’exploiter les réacteurs existants dans la durée puisque les coûts de démantèlement augmentent peu avec l’énergie produite, et qu’ils donnent par ailleurs lieu à des fonds déjà constitués à plus de 100 %.  

Le rapport fait une distinction utile entre le démantèlement d’installations dites de « première génération » et celles dites de « deuxième génération »

Dans le monde, près de 600 installations sont à ce jour complètement démantelées dont 17 réacteurs de puissance. Environ 450 installations nucléaires (réacteurs de puissance, installations du cycle et installations de recherche) ont été arrêtées et sont en cours de démantèlement.

En France, la Cour précise que 33 ont déjà été complètement démantelées que 36 installations sont en cours de démantèlement chez les trois exploitants (EDF, CEA, ORANO). Ces installations, dites de « première génération » sont souvent anciennes, uniques et complexes : réacteurs expérimentaux, laboratoires de chimie, stations de traitement d’effluents et de déchets, réacteurs de puissance dont la technologie a été abandonnée. Leur historique d’exploitation est généralement mal connu. Ils bénéficient aussi de peu de retour d’expérience. Ces situations très diverses induisent parfois des difficultés qu’il faut résoudre au cas par cas. 

Ces chantiers font face à de nombreux défis, et leur avancement a conduit à des augmentations des coûts prévisionnels et des évolutions de calendrier pour les démantèlements en cours.

Ainsi, dans le cas du CEA, l’assainissement et le démantèlement de chacune de ses installations est un cas spécifique : de ce fait il n’y a pas d’effet de série. Les installations n’avaient de plus pas été conçues en intégrant les contraintes du démantèlement, ni en assurant une gestion des déchets radioactifs correspondant aux exigences actuelles. La connaissance de l’état initial est souvent imparfaite. Par ailleurs s’ajoute la présente de déchets anciens entreposés dans des ouvrages qui ne correspondent pas aux standards de sûreté actuels, ce qui rend nécessaires de nombreuses opérations de reprises et de conditionnement de ces déchets.

La Cour rappelle que les exploitants, face à la complexité de ces chantiers, mettent à jour leurs devis régulièrement pour ajuster leurs provisions et réinterrogent régulièrement leurs stratégies de démantèlement tant dans un but d’efficacité que pour donner aux autorités de sûreté une vision globale à plus de 10 ans.  

A noter que les exploitants se mobilisent pour réaliser les développements technologiques nécessaires pour faire face aux défis auxquels ils sont confrontés sur les installations anciennes : ainsi EDF a constitué une filiale commune, Graphitech, avec Veolia, dédiée au démantèlement des réacteurs graphite, qui constituent l’essentiel de la première génération de réacteurs en France. Il a déclaré qu’il sera le premier opérateur au monde à démanteler un réacteur de puissance au graphite, et que les technologies développées ont un potentiel de valorisation important, puisque la Grande Bretagne aura par exemple 40 réacteurs au graphite à démanteler.  

Les exploitants ont mise en œuvre les recommandations précédentes de la Cour concernant les estimations des coûts de démantèlement des installations de GEN 2

La question du démantèlement des installations dites de « deuxième génération », c’est à dire des réacteurs à eau pressurisée du parc actuel est très différente de celle des installations de « première génération », car leur démantèlement bénéficie de premiers retours d’expérience. Des réacteurs de même technologie ont déjà été démantelés avec succès aux Etats Unis. Le chantier du réacteur à eau pressurisée de Chooz A dans les Ardennes françaises, qui se termine, démontre que l’enjeu pour le parc ne sera pas la faisabilité technique des opérations mais plutôt comment les optimiser pour être plus efficace.

Dans son rapport de 2014 la Cour avait recommandé l’utilisation de la méthode dite « Dampierre », qui repose sur l’estimation du coût de démantèlement d’un site tête de série de deux tranches de 900MW, puis sur l’application de méthodes d’extrapolation à l’ensemble du parc. Cette méthode avait été jugée plus robuste que la règle retenue auparavant et reposant sur l’application d’un taux forfaitaire aux coûts de référence de construction du parc. La Cour avait suggéré un audit de la méthode pour asseoir sa robustesse. Cet audit a été réalisé par le gouvernement en 2014 et ses conclusions en 2015 ont globalement conforté la méthode tout en proposant plusieurs pistes d’amélioration. Une révision a été réalisée en 2016 sous le nom de GEN2 2016 sur la base du retour d’expérience de Chooz A, et en anticipant le futur effet de série.

La SFEN notait en 2017 que les différentes comparaisons internationales montrent que ces coûts sont sujets à des incertitudes, avec des variations dans un rapport pouvant aller de 1 à 3[4]. Mais le parc d’EDF est vaste et très standardisé, de sorte les effets de série et de mutualisation joueront de façon significative.  On peut par exemple réutiliser l’essentiel des études, ou de l’outillage. Le démantèlement de deux réacteurs sur un même site permet aussi de partager différents postes de coût.

Comme on le constate, le rapport de la Cour confirme dans ses grandes lignes la pertinence du système français et de son application par les industriels. Ceci même si la Cour note que « l’évaluation des charges de démantèlement produite par les exploitants peut encore gagner en exhaustivité et en prudence ». L’argumentation déployée à cet égard porte notamment sur un éventuel élargissement du champ du provisionnement aux coûts de fin d’exploitation et notamment aux taxes. Cette nouvelle analyse peut surprendre dans la mesure où les provisions pour démantèlement se doivent de répondre au cadre règlementaire qui détaille précisément le périmètre des dépenses de démantèlement. Ce point apparait donc plutôt comme un choix règlementaire de périmètre (par ailleurs déjà couvert).


[1] Rapport d’audit sur les modalités d’évaluation des charges brutes permettant le calcul des provisions de déconstruction des réacteurs d’EDF en cours d’exploitation – Ricol & Lasteyrie – 4 août 2015 – rendu public en janvier 2016.

[2] Voir également le rapport de la Mission d’information relative à la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base : Assemblée Nationale n° 4428 du 1er février 2017, présenté par Mr Julien Aubert et Mme Barbara Romagnan.

[3] Résultats annuels EDF 2019.

[4] Voir par exemple le rapport OCDE/IEA/NEA  de 2016 = https://www.oecd-nea.org/ndd/pubs/2016/7201-costs-decom-npp.pdf


Valérie Faudon – Crédit photo Chatsam – Cour d’honneur de la Cour des comptes

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